Le sel et la lacto-fermentation de fruits et légumes

sel naturel

Dans cet article je vous révèle les rôles insoupçonnés du sel au cours de la lacto-fermentation des végétaux, plus précisément les rôles de l’ion sodium Na+ issu de la dissolution du sel dans l’eau.

En effet l’ion sodium Na+ est un élément clé dans la prolifération des bactéries lactiques et je vais mettre le focus sur ce lien intime entre Na+ et les bactéries lactiques.

Sachant cela est ce que des fruits et légumes lacto-fermentés sans sel pourront avoir les mêmes qualités nutritionnelles que ceux lacto-fermentés avec du sel ?

Nous allons voir tout cela dans cet article. Encore une fois mes analyses approfondies se basent sur les différentes réactions chimiques qui se déroulent au cours d’une lacto-fermentation et je m’appuie sur différentes études scientifiques qui mettent en exergue les principales réactions qui conduisent à la prolifération des bactéries lactiques.

I- Le sel

Le chlorure de sodium (NaCl) est le principal constituant du sel. Le NaCl est très soluble dans l’eau et en milieu aqueux il se dissocie en deux ions : Na+(ion sodium) et Cl- (ion chlorure).

Il est important de savoir que ce n’est pas le chlorure de sodium lui même qui apporte la salinité mais l’ion Na+ issu de sa dissolution dans l’eau. En d’autres termes plus il y a d’ions libres Na+ dans le milieu, c’est à dire des ions Na+ non reliés à d’autres substances, plus le milieu aura un goût salé.

Lorsque nous mettons un grain de sel sur la langue, le NaCl se dissout dans la salive pour donner du Na+ libre et du Cl- libre. Et notre palais détecte la saveur salée apportée par Na+.

Les techniques de base de la lacto-fermentation consiste soit à immerger les végétaux dans une saumure (eau additionnée de sel) soit à les faire préalablement dégorger en ajoutant du sel avant de les mettre en bocal.

Dans les deux cas, le NaCl contenu dans le sel va se dissoudre dans l’eau pour donner des ions Na+ (libres) et des ions Cl- (libres). Mais ces ions Na+ responsables du goût salé ne resteront pas libres durant toute la durée de la lacto-fermentation car ils ont un rôle primordial dans le processus et c’est ce que je vais vous expliquer dans cet article.

Une lacto-fermentation de fruits et légumes, utilisant 1 à 2 % de sel en salage à sec ou une saumure à 3 % de sel, réussie ne doit pas être salée à l’ouverture du bocal ! Et malheureusement c’est un critère méconnu dans le monde de la fermentation maison, aussi bien des particuliers que des artisans qui en font leur métier.

Je sais que mes affirmations vont encore une fois faire lever les yeux au ciel ou faire grincer les dents à de nombreuses personnes car il est souvent dit que les fruits et légumes lacto-fermentés sont salés, mais je vais vous démontrer par A+B que cela est complètement faux et je vais vous expliquer pourquoi.

Si à l’ouverture du bocal votre préparation est toujours bien salée alors cela signifie que la lacto-fermentation ne s’est pas déroulée dans les conditions optimales tout simplement parce que les nombreux ions Na+ libres présents dans le milieu n’ont pas pu jouer leurs rôles.

Diminuer la quantité de sel (par exemple mettre seulement 1 % de sel au lieu de 2 %dans le cas d’un salage à sec) ne résoudra pas le problème. Preuve en est qu’il arrive à certaines personnes  que des fruits et légumes lacto-fermentés avec 1% de sel sont encore salés à l’ouverture du bocal !

Personnellement j’ai toujours mis 2% de sel naturel pour mes lacto-fermentations en salage à sec et pas une seule fois je me suis retrouvée avec des légumes encore salés à l’ouverture du bocal. Et je ne suis pas un cas isolé !

Avant de vous révéler les rôles des ions Na+ au cours d’une lacto-fermentation, nous devons d’abord prendre connaissance des métabolismes des bactéries lactiques.

Cet article est hyper long mais je tiens à rentrer dans les détails de certaines réactions chimiques se produisant au cours d’une lacto-fermentation de végétaux afin que les choses soient bien claires.

Alors n’hésitez pas à vous préparer par exemple une petite infusion à siroter tout au long de la lecture et pourquoi pas quelques gourmandises saines et fermentées, tant qu’on y est !

II- La lacto-fermentation de fruits et légumes

Lorsque les conditions optimales sont réunies, la lacto-fermentation  permet de multiplier considérablement la quantité de bactéries lactiques (BL) se trouvant initialement sur les végétaux utilisés et obtenir ainsi un produit fini beaucoup plus riche en bactéries lactiques. Ainsi par exemple du chou lacto-fermenté sera beaucoup plus riche en bactéries lactiques que le même chou mais cru.

Lors du processus de lacto-fermentation ces BL  produisent de l’acide lactique.

La richesse en bactéries lactiques et la présence d’une quantité suffisante d’acide lactique dans la préparation sont les deux principales qualités des fruits et légumes lacto-fermentés.

C’est cet acide lactique qui permet la conservation. Plus la quantité d’acide lactique est importante, plus la conservation sera longue. Cela explique pourquoi les fruits et légumes  en lacto-fermentation courte de quelques jours ne se conservent pas aussi longtemps que ceux obtenus avec une lacto classique d’au moins 3 semaines. On a donc intérêt à ce que la quantité de BL dans le milieu soit importante afin d’assurer une quantité suffisante d’acide lactique permettant une longue conservation.

L’acide lactique est un acide organique. Parmi les nombreux acides organiques, l’acide lactique et l’acide acétique (vinaigre) sont connus comme étant des conservateurs alimentaires très efficaces, les plus efficaces !

Il y a de nombreux acides organiques  et tous les fruits et légumes en contiennent en quantité variable, mais tous les acides organiques n’ont pas la même capacité de conservation. Autrement dit, ça n’est pas parce qu’un aliment est acide qu’il va se conserver naturellement !

Le citron est l’aliment le plus acide, il est très riche en acide citrique qui constitue 95% des différents acides organiques constituant cet agrume et pourtant il ne se conserve pas tel quel et le jus de citron pressé ne permet pas la conservation d’un aliment comme avec du vinaigre par exemple.  Tout simplement parce que l’acide citrique n’a pas la même capacité de conservation de l’acide acétique (vinaigre) ni celle de l’acide lactique (lacto-fermentation), même si c’est un acide.

III- Quelques notions sur les bactéries lactiques

Les seuls et uniques agents de la lacto-fermentation sont les bactéries lactiques. Leurs niches écologiques sont multiples et variées, les matières carbonées sont leurs principales sources de sucres et cela explique pourquoi elles prolifèrent là où il y a de la matière organique :dans les sols, dans les océans et les eaux douces, dans les organismes des mammifères, à la surface des végétaux, etc etc

Les bactéries lactiques sont immobiles et c’est le vent, le ruissellement des eaux , les divers contacts entre les vivants de la nature, ...  qui permettent de les disséminer partout.

Si par exemple nous cueillons une pomme, une partie des bactéries lactiques se trouvant sur la peau de cette pomme va se retrouver sur notre main. Si ensuite nous caressons notre chien avec cette même main, ces bactéries lactiques vont se retrouver sur les poils du chien. Lorsque ce chien va se rouler sur la terre, une partie des bactéries lactiques qui s’y trouvent vont se déposer sur leurs poils. Une fois dans notre maison ce même chien en secouant tout son corps dispersera les bactéries lactiques un peu partout. Et ainsi de suite, les scénarios sont multiples et variés !  

Pour que les bactéries lactiques se trouvant initialement dans notre préparation puissent rester vivantes, il faut que le milieu dans lequel elles se trouvent puisse leur assurer un minimum vital (température, nutriments, …). Ce sont les végétaux utilisés eux mêmes qui vont leur apporter les nutriments nécessaires à leurs besoins élémentaires.

Si on souhaite avoir un produit fini beaucoup plus riches en bactéries lactiques, ce qui est le but de la lacto-fermentation,  il est indispensable de leur donner les moyens de se multiplier.

Il est donc important de savoir qu’il y a des conditions environnementales et nutritionnelles, appelées besoins élémentaires, qui permettent aux bactéries lactiques de rester vivantes et d’autres conditions, appelées facteur de croissance, qui vont leur permettre de se multiplier.

Les besoins élémentaires de toutes les bactéries (source d’énergie ,de carbone, d’azote et de minéraux) leur permettent de constituer les éléments cellulaires. Si un grand nombre de bactéries sont capables de se multiplier lorsque leurs besoins élémentaires sont satisfaits,  les bactéries lactiques quant à elles ont des besoins supplémentaires et spécifiques  car il existe des substances indispensables à leur croissance qu’elles ne peuvent pas synthétiser et donc doivent être présentes dans le milieu. On dit que les bactéries lactiques sont auxotrophes.  

Ces éléments indispensables à la prolifération des bactéries lactiques et qu’elles ne peuvent pas synthétiser, comme les acides aminés et certaines vitamines,  constituent leur facteur de croissance.

Non seulement les nutriments élémentaires ainsi que les facteurs de croissance doivent être présents dans le milieu mais il est indispensable qu’ils puissent pénétrer dans la cellule des bactéries lactiques.

En effet c’est bien à l’intérieur de la cellule des bactéries lactiques qu’ont lieu les diverses  transformations chimiques permettant aux bactéries de se multiplier.

III-1 La cellule des bactéries lactiques

La cellule d’une bactérie lactique est constituée dans sa partie la plus externe par une paroi cellulaire puis d’une membrane plasmique appelée aussi membrane cellulaire ou membrane cytoplasmique.

Cellule d'une bactérie lactique
Schéma simplifié de la cellule d'une bactérie lactique

La membrane plasmique constitue une barrière entre le milieu intracellulaire et son environnement extérieur. Elle est constituée essentiellement de lipides et de protéines.

Coupe transversale d'une membrane plasmique bactérienne
Coupe transversale de la membrane plasmique avec à droite, en bleu, l'enzyme de transport du glucose

Image issue du cours sur les cellules sur Biology 2e publié par OpenStrax

Les lipides assurent assure la semi-perméabilité de la membrane plasmique tandis que les protéines assurent les communications cellulaires, contrôlent et régulent le séchanges de matières entre l’intérieur de la cellule et le milieu extérieur.

N’entre pas qui veut dans une cellule ! Pour qu’une substance puisse pénétrer à l’intérieur d’une cellule, non seulement elle doit montrer pâte blanche mais cette substance doit traverser la membrane plasmique.

Si cette membrane plasmique est fragilisée voire altérée alors elle ne pourra plus assurée son rôle et l’intérieur des cellules se trouvent exposé à des intrus !

La congélation des micro-organismes par exemple est un cas avéré de fragilisation voire altération des membranes plasmiques. C’est la raison pour laquelle, depuis déjà plusieurs années, avant de congeler des bactéries lactiques cultivées en laboratoire on leur injecte un cryoprotecteur c’est à dire une substance qui évite la formation de cristaux de glace à l’intérieur de la cellule (un anti gel en quelque sorte).

Je vous laisse deviner ce qu’il arrivera aux grains de kéfir, au levain de panification, aux grains de pollens d’abeilles, …, que nous congelons nous-mêmes dans nos cuisines !

III-2 Nutrition des bactéries lactiques

Tous les nutriments dont la bactérie lactique a besoin doivent pénétrer à l’intérieure de sa cellule. Pour cela ces différents nutriments doivent traverser la membrane plasmique.

Le glucose est le sucre préférentiel des bactéries lactiques, il est aussi leur principal nutriment et leur principale source d’énergie. La glucose est apporté par les végétaux utilisés.

Contrairement aux autres bactéries, levures et moisissures qui ont deux métabolismes de base (respiration OU fermentation), les bactéries lactiques ont une seule métabolisme de base : la fermentation. Comme c’est leur seule et unique métabolisme (les bactéries lactiques ne respirent pas!) ,c’est grâce à la fermentation qu’elles vont produire les énergies dont elles ont besoin.
Le glucose va donc devoir pénétrer à l’intérieur de la cellule, lieu des différentes réactions chimiques permettant  aux bactéries lactiques de maintenir une bonne santé et de proliférer.

Rappelez vous, comme dit plus haut, les bactéries lactiques ne peuvent pas synthétiser les acides aminés et certaines vitamines indispensables à leur prolifération. Il est donc plus qu’important que ces acides aminés et ces vitamines soient présents dans le milieu et puissent pénétrer dans la cellule des bactéries lactiques.

Par ordre hiérarchique des besoins des bactéries lactiques : le glucose, les acides aminés et certaines vitamines qu’elles ne peuvent pas synthétiser se trouvent au sommet.

Ni le glucose, ni les acides aminés ni certaines vitamines que ne peuvent synthétiser les bactéries lactiques  ne peuvent pénétrer d’eux-mêmes à l’intérieure de leur cellule. Pour cela des protéines spécifiques constituant la membrane plasmique, appelés enzymes de transport, doivent intervenir afin d’assurer le passage transmembranaire.

Il existe de nombreuses catégories d’enzymes de transport, chaque enzyme de transport est spécifique au transport transmembranaire d’une substance bien spécifique. Ainsi, il existe une enzyme spécifique au transport des électrons, une enzyme spécifique au transport des protons (H+), une enzyme spécifique pour le transport des acides aminés, une enzyme spécifique pour le transport des vitamines, une enzyme spécifique pour le transport du sucre, etc etc.

Ces enzymes de transport transmembranaires n’oeuvrent pas seuls, et c’est à ce niveau que les fameux ions Na+ libres se trouvant dans le milieu entrent en scène.

IV- Transport du sucre, des acides aminés et des vitamines dans la cellule da la bactérie lactique

Dans le milieu de la fermentation, nous connaissons bien les enzymes  digestives (amylases, protéases et lipases) ou du moins on en a entendu parlé.

Par contre on parle rarement voire pas du tout des enzymes métaboliques (appelées aussi enzymes systémiques). Pourtant les enzymes systémiques sont indispensables au fonctionnement harmonieux de chaque cellule, de toutes cellules.

Les enzymes de transport font partie de ces enzymes systémiques.

Un exemple dans le milieu végétal : ce sont des enzymes de transport qui véhiculent les différents nutriments pour les apporter d’un endroit à un autre de la plante en naviguant à travers la sève. Autre exemple, chez les mammifères ce sont aussi des enzymes de transport qui vont faire pénétrer le glucose dans les cellules.

Il existe plusieurs familles d’enzymes de transport et les modes de transport des substances sont catégorisés en transport passif ne nécessitant pas d’énergie et en transport actif qui en nécessite.

Dans le cas des bactéries lactiques les enzymes de transport spécifiques au sucre, aux acides aminés et aux vitamines appartiennent  à la famille d’enzymes SSS (symporteurs sodium/soluté).

Le passage transmembranaire de ces substances, c’est à dire leur passage à travers la membrane plasmique de la bactérie lactique, se réalise par un mode de transport actif appelé transport actif secondaire nécessitant de l’énergie durant lequel deux substances (Na+/soluté) sont transportées simultanément par une même enzyme de transport du milieu extérieur vers le milieu intracellulaire de la bactérie lactique.

La face interne de la membrane plasmique est chargée négativement, cette force électrique va donc attirer les ions Na+ puisque les opposés s’attirent. Cette attraction va faciliter les mouvements des ions Na+ vers la membrane plasmique jusqu’à atteindre l’enzyme de transport,  mouvements à travers la membrane plasmique qui vont produire l’énergie nécessaire au transport du soluté.

Puis l’enzyme de transport va véhiculer (Na+/soluté) dans le cytoplasme de la bactérie lactique.

C’est exactement ce qu’il se passe pour le transport transmembranaire du glucose (Na+/glucose), des acides aminés (Na+/acide aminé) ainsi que celui des vitamines (Na+/vitamine).

V- Devenir des ions Na+ du milieu et ceux dans la cellule de la bactérie lactique

Il existe une enzyme de transport spécifique à chaque acide aminé. Par exemple l’enzyme PutP est l’enzyme de transport de la proline, LeuT est l’enzyme de transport de la leucine. Il en est de même pour le sucre et pour chaque vitamine à transporter à l’intérieure de la cellule d’une bactérie lactique.

Plus il y a d’acides aminés à transporter, plus il y aura d'enzymes de transports spécifiques à leur transport qui seront mobilisées et plus des ions Na+ devront intervenir.

Il en est de même pour le glucose et les différentes vitamines.

Vous l’avez compris, la richesse du milieu en glucose, en acides aminés et en vitamines va mobiliser d’avantage d’ions Na+ ce qui va diminuer le nombre d’ions Na+ libres dans ce même milieu diminuant ainsi sa salinité puisque je le rappelle ce sont les ions libres Na+ qui apportent le goût salé et non le chlorure de sodium lui même.

C’est une des raisons pour lesquelles on recommande de mettre plus de sel pour la lacto-fermentation des fruits. En effet comme de manière générale les fruits sont plus riches en sucre que les légumes, il va donc y avoir plus de sucre à transporter et par conséquent les enzymes de transport auront besoin de plus d’ions Na+.

Si vous avez eu la curiosité de goûter le liquide qui déborde de vos lacto-fermentations de fruits et légumes, vous avez certainement remarqué que le goût salé de ce liquide diminue petit à petit au fil du temps jusqu’à disparaître complètement !

Cela s’explique tout simplement par le fait qu’il faut un certain temps aux enzymes de transport pour transporter le sucre, les acides aminés et les vitamines dans la cellule de la bactérie lactique. Comme chaque transport exige une enzyme et un ion Na+, la quantité d’ions Na+ libres dans le milieu va diminuer au fur et à mesure que les transports s’effectuent.

D’autre part, une fois dans le cytoplasme (partie intérieure de la cellule) , le glucose va d’abord subir la glycolyse c’est à dire qu’il va être transformé en pyruvate et c’est le pyruvate qui va être utilisé par la bactérie lactique afin de produire le fameux acide lactique : la fermentation lactique va enfin pouvoir avoir lieu !

Quant à l’ion Na+, une fois dans le cytoplasme il  ne va pas rester libre bien longtemps !

Certains acides aminés sont chargés négativement. C’est le cas par exemple du glutamate ou acide glutamique. Lorsque du glutamate est transporté dans la cellule d’une bactérie lactique, à un moment donné il va rencontrer un ion sodium Na+ et leur heureux mariage va donner naissance  au glutamate de sodium responsable de la saveur umami.

Alors pourquoi certaines personnes se retrouvent avec un produit encore bien salé à l’ouverture de leur bocal ?  Tout simplement parce que les ions Na+ libres dans le milieu n’ont pas pu faire leur job !

Il existe plusieurs explications à cela mais vous verrez, la raison principale est la qualité nutritionnelle des végétaux utilisés. Une qualité nutritionnelle qui va dépendre de la qualité des semences utilisées, de la qualité environnemental du lieu de culture, du mode de culture, du moment de le cueillette (un végétal cueilli à maturité aura de biens meilleurs qualités nutritionnelles), ...

VI- Qualités nutritionnelles et gustatives des fruits et légumes lacto-fermentés

Vous l’avez compris, les enzymes tiennent une place importante lors du processus de lacto-fermentation. Des enzymes se trouvant aussi bien dans les végétaux utilisés que dans les bactéries lactiques se trouvant sur ces mêmes végétaux.

Mais si des pesticides par exemple ont été utilisés lors de la culture des végétaux utilisés, alors de nombreuses enzymes végétales ont été détruites ! En effet tous les pesticides aussi bien naturels que fabriqués par synthèse chimique ont des effets inhibiteurs sur les enzymes. D’ailleurs en médecine allopathique, des médicaments ayant pour effet d’inhiber des enzymes sont utilisés pour certaines pathologies.

Certains produits phytosanitaires, aussi bien naturels que chimiques et même bio, peuvent avoir des conséquences fâcheuses sur les activités enzymatiques qui auront une conséquence directe sur les qualités nutritionnelles des végétaux cultivés.

Les enzymes des végétaux vont par exemple dégrader les polypeptides en acides aminés libres qui pourront être directement transportés dans la cellule des bactéries lactiques lors de la lacto-fermentation.

S les enzymes responsables de la décomposition des polypeptides en acides aminés sont peu actives voire inactives alors les bactéries lactiques seront privées de nutriments essentiels qu’elles ne peuvent synthétiser et pourtant indispensables pour leur prolifération !

Parallèlement à cela, les ions Na+ qui étaient censés participer au transport de ces acides aminés vont se retrouver au chômage et la salinité du milieu ne va pas diminuer !

Ce sont encore des enzymes des végétaux qui vont décomposer le saccharose en glucose et fructose ou l’amidon en glucose afin de disposer de sucres fermentescibles pour les bactéries lactiques. Et là encore la quantité de sucres fermentescibles pour les bactéries lactiques sera compromise si les enzymes sont peu actives voire complètement inactives !

Non seulement les bactéries lactiques manqueront de leur source principale d’énergie ( le glucose) mais les ions Na+ indispensables au transport du glucose ne pourront pas accomplir leurs rôles et resteront libres dans le milieu !

Résultat des courses, un produit fini avec peu de bactéries lactiques car les conditions leur permettant de se proliférer n’ont pas été réunies. Qui dit peu de bactéries lactiques dit peu d’acide lactique produit. Comme c’est l’acide lactique qui permet la longue conservation , là encore la conservation du produit va être compromis et celui-ci risque de pourrir ! Et de surcroît un produit fini encore bien salé qu’il va falloir rincer pour se débarrasser du sel ! Un rinçage qui va de toute façon changer le goût du produit !

Autant dire un produit fini de qualités nutritionnelles et gustatives bien médiocres, bien loin des qualités mirobolantes des fruits et légumes lacto-fermentésque l’on nous chante tous les matins !
La lacto-fermentation des fruits et légumes ne fait pas de miracles ! Les véritables qualités nutritionnelles et gustatives de votre préparation dépendra intimement de la qualité des ingrédients utilisés et de la méthode utilisée bien sûr.

A qualité égale, concernant les végétaux utilisés, mettre 2 % de sel plutôt que 1 % pour une méthode en salage à sec, permet d’apporter une quantité suffisante d’ions Na+ indispensables aux différents transports des nombreux nutriments indispensables à la croissance des bactéries lactiques.

L’insuffisance d’ions Na+ limitera la croissance des bactéries lactiques et le produit fini sera beaucoup moins riche en bactéries lactiques.

Et pour finir, une lacto-fermentation de fruits et légumes sans sel et donc sans apport d’ions Na+, n’est pas envisageable pour toutes ces mêmes raisons.

Une lacto-fermentation de fruits et légumes sans sel mais avec apport de grains de kéfir de fruit a vu ses jours depuis que la lacto-fermentation a le vent en poupe.

Alors bien sûr les grains de kéfir de fruits vont apporter des bactéries lactiques au milieu mais il manquera un élément essentiel : les ions Na+ !

Ceux qui ont essayé cette méthode disent que l’acidité du produit fini est moins marquant. Normal puisque l’acide lactique produit est moindre vu que la multiplication des bactéries lactiques est limitée.

Et puis il y en a qui me diront certainement que ça bulle et donc c’est que ça fermente! Bah non, tout ce qui bulle ne fermente pas ! Les bulles sont constituées de gaz carbonique et de nombreuses réactions chimiques qui font intervenir des matières organiques produisent du CO2.

La respiration cellulaire des levures par exemple produit aussi du CO2 et n’oublions pas que des levures sont aussi présentes dans le milieu mais comme les conditions ne leurs sont pas favorables (ex le taux sel) alors elles vont recourir à la respiration plutôt qu’à la fermentation car la respiration leur fournira beaucoup plus d’énergie leur permettant d’assurer leur survie.

Un autre exemple concret de production de CO2 et qui n’est pas une fermentation et pourtant qui fait tomber de nombreuses personnes dans le panneau c’est la réaction qui se produit au tout début de la préparation des sirops crus (cheong/koso), au tout début de la préparation d’ail lacto-fermenté au miel et même les 1ères heures qui suivent le début d’une lacto-fermentation de fruits et légumes.

Vous avez certainement remarqué que dès les 1ères heures d’une lacto de fruits et légumes, une buée se dépose sur le couvercle des bocaux (visibles sur les couvercles en verre) : c’est du CO2, mais ce CO2 n’est pas issu de la lacto-fermentation mais par une réaction chimique en amont.

Il me semble important de préciser que ça n’est pas le glucose lui-même qui est utilisé par les bactéries lactiques mais le pyruvate qui est un produit issu de la transformation enzymatique du glucose lors de la glycolyse. Le glucose n'est pas directement utilisable ni par les bactéries lactiques ni par les levures

Pour simplifier on s'accorde à dire que les bactéries lactiques et les levures se nourrissent de glucose.

La glycolyse est une succession de 10 réactions faisant intervenir 10 enzymes différentes pour transformer le glucose en pyruvate.

Une fois le pyruvate formé, son devenir dépendra des microbes présents dans le milieu et des conditions environnementales.

Dans le cas d’une lacto-fermentation de fruits et légumes, les levures présentes dans le milieu vont utiliser une partie de ce pyruvate pour leur respiration cellulaire. Tout comme nous, les levures aussi produisent du CO2 au cours de la respiration.  

Les bactéries lactiques quant à elle vont utiliser le pyruvate afin de produire de l’acide lactique mais également l’énergie dont elles ont besoin : c’est la fermentation lactique à proprement parlé !

Je rappelle les bactéries lactiques n’ont pas de métabolisme respiratoire : elle ne respirent ni l’oxygène ni d’autres substances comme c’est le cas d’autres bactéries et par conséquent la présence d’oxygène dans le milieu ne les empêche pas de rester vivante ni de se proliférer. Et par conséquent, contrairement à ce qu'il se dit ici et là, la lacto-fermentation de fruits et légumes peut très bien se faire aussi bien en présence qu'en absence d'oxygène. Dans cet article ICI j'explique tout cela de façon détaillée avec des références de documents d'études scientifiques qui en parlent.

Il arrive aussi que le pyruvate formé subit une décarboxylation oxydative pour conduire à la formation de l’acétyl-CoA. Cette réaction produit également du CO2 et ne fait pas intervenir les bactéries lactiques. C’est cette réaction qui se produit au tout début de la production de sirops crus (cheong/koso), les 1ers jours de lacto-fermentation d’ail au miel et également les 1ères heures de lacto-fermentation de fruits et légumes.

Les grains de kéfir ont été utilisés depuis des temps immémorables par certains peuples, bien avant qu’ils aient eu recours à la lacto-fermentation pour conserver leurs fruits et légumes.
Alors vous ne trouvez pas bizarre que ces peuples là n’ont pas utilisé des grains de kéfir pour faire une lacto-fermentation sans sel !

Si cette méthode de lacto-fermentation sans sel et avec des grains de kéfir de fruits ont connu  du succès auprès de ces peuples anciens alors ça se saurait n’est ce pas ?

VII- Conclusion

La lacto-fermentation de fruits et légumes permet d’augmenter considérablement la quantité de bactéries lactiques dans le milieu, lorsque les conditions idéales sont réunies. Ces nombreuses bactéries lactiques pourront alors produire une grande quantité d’acide lactique assurant la longue conservation de ces fruits et légumes lacto-fermentés.

Connaître les mécanismes des principales réactions chimiques se déroulant au cours d’une lacto-fermentation de fruits et légumes nous a permis de constater qu’aussi bien le glucose que l’ion sodium Na+  (et donc le sel) sont indispensables à la vie des bactéries lactiques.

Le trio (Enzymes actives / Na+/ bactéries lactiques) est le trio gagnant et ce trio ne peut être dissocié si l’on souhaite obtenir un produit fini aux qualités nutritionnelles ET gustatives optimales. La qualité nutritionnelle des végétaux utilisés n’est pas en reste.

C’est un leurre de croire qu’il suffit de mélanger une certaine quantité de sel à n’importe quel végétal, de le mettre en bocal, le laisser fermenter au moins 3 semaines et on aura un produit ultra riche en bactéries lactiques !

Mettre moins de sel afin d’avoir des fruits et légumes lacto-fermentés moins salé est une illusion !

Ça n’est pas pour rien si l’eau salée constitue 97,5 % de notre planète. Ça n’est pas pour rien si le  chlorure de sodium est le 6ème  élément le plus abondant sur terre. Parce que le sel, à différentes teneurs selon les règnes, contribue à la vie !

Références

1- Symporteurs Na+/soluté :
https://en.wikipedia.org/wiki/Sodium-solute_symporter

2- Transporters of glucose and other carbohydrates in bacteria :
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32372286/

3- Prokaryotic Solute/Sodium Symporters: Versatile Functions and Mechanisms of a Transporter Family
https://www.mdpi.com/1422-0067/22/4/1880

Eclair
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