Apprendre efficacement à différencier un biofilm de levures et de la moisissure
I- Introduction
Tout d’abord gratitude à Martine, Rose, Valérie et Rémy, membres d’un groupe de fermentation sur Facebook, pour leur contribution et qui m’ont autorisée à utiliser leurs vidéos et photos pour illustrer cet article.
Toute ma gratitude également à Estelle, membre du même groupe, qui m'a autorisée à utiliser ses photos afin d'illustrer cet article
Grâce à cette collaboration, je peux illustrer mes différentes explications de manière bien détaillée avec les résultats de leur propres expériences ainsi que les miennes.
Voir apparaître quelque chose à la surface de nos préparations voire au coeur de celles-ci nous amène souvent à nous interroger sur la nature de cette chose (levure ou moisissure) et leurs éventuels effets sur nos préparations et par conséquent sur notre santé.
Dans cet article je ne vais pas juste me contenter de vous dire ça ce sont des levures et ça ce sont des moisissures, non ! Je vais vous apporter des notions sur le métabolisme propre à chacun de ces micro-organismes, vous verrez que la compréhension de cela permet de les distinguer efficacement.
Certaines de leurs propriétés physico-chimiques vont aussi nous permettre, par une simple expérience à la portée de tous, de déterminer leur nature. Différentes photos et vidéos faites à partir de différents produits fermentés ou en cours de fermentation des membres cités plus haut viendront étayer mes explications.
Je vais d’abord donner des explications d’ordre générale, qui sont importantes à connaître, avant de voir quelques cas de fermentations bien connues.
II- Le contexte
Si de manière générale on s’accorde à dire que les levures ne présentent pas de risque sanitaire, concernant les moisissures les avis sont souvent partagés entre ceux qui conseillent de juste les retirer et ceux qui recommandent de jeter la préparation.
Des moisissures qui se forment au cours d’une fermentation est un problème qui revient souvent, à lire ce que partagent les membres de ce même groupe de fermentation. Mais malheureusement, de nombreuses personnes affirment qu’il s’agit de levures kham (levures sauvages).
Dans cet article je vous donne des informations pertinentes qui vous permettront de différencier les levures des moisissures.
Dans les références je vous laisse un document très complet de l’ANSES (Agence Nationale de la Sécurité de l’alimentation, de l’environnement et du travail) qui donne des informations basées sur des études scientifiques sérieuses sur les toxines produites par certaines moisissures ainsi que leurs effets sur notre santé.
Les effets néfastes des mycotoxines sur notre santé ne sont plus à démontrer. Ce ne sont pas les moisissures elles-mêmes qui se forment sur nos produits fermentés qui sont dangereuses pour la santé mais bien les mycotoxines qu’elles produisent et qui sont invisibles à l’oeil nu. Sachant cela, libre à chacun de consommer ou pas des produits qui ont été colonisés par des moisissures.
III- Les levures
Les levures comme les moisissures sont des champignons microscopiques. Les levures sont unicellulaires tandis que les moisissures sont pluricellulaires et filamenteuses. Autrement dit une levure est constituée d’une seule cellule alors qu’une moisissure est constituée de plusieurs cellules qui se répartissent tout au long de filaments qui forment des ramifications.
Nous parlerons uniquement de levures sauvages dans tout ce qui suit, c’est à dire des levures qui se trouvent dans la nature (à l’heure actuelle plus de 2000 différentes levures sauvages ont été identifiées mais il y en a certainement beaucoup plus dans la nature). Les levures commercialisées (levure de bière, levure de boulanger, …) sont uniquement composées de Saccharomyce cerevisiae issue de culture en laboratoire alors que différentes sortes de levures sauvages (y compris Saccharomyce cerevisiae) se trouvent sur les végétaux que nous utilisons pour nos fermentations maison.
III-1 Métabolisme des levures
Un métabolisme est un ensemble de réactions chimiques se déroulant à l’intérieur d’une cellule permettant de fournir à celle-ci ce dont elle a besoin pour rester en vie. Toute cellule vivante a besoin d’énergie qui sera utilisée pour les différents processus intracellulaires. Et c’est le glucose qui est la source principale d’énergie pour les cellules. Le glucose est utilisée selon deux voies métaboliques.
Toutes les levures sans aucune exception ont deux métabolismes de base : la fermentation OU la respiration cellulaire. Ces deux métabolismes ne peuvent pas se dérouler simultanément.
Le glucose est d’abord transformé en pyruvate : c’est la glycolyse . C’est seulement une fois le pyruvate formé que la levure va procéder soit à une respiration soit à une fermentation. Lorsque l’oxygène est présent dans le milieu, la levure va suivre la voie de la respiration aérobie. Dans le cas contraire, c’est la voie de fermentation qui sera suivie. La fermentation n’est autre qu’une respiration anaérobie.
Voici les réactions bilan de ces deux métabolismes de base de la levure.
Réaction bilan de la respiration :
C6H12O6 (glucose)+6 O2 +36 ADP (AdénosineDiPhospathe)+ 36 Pi (Phosphate inorganique) → 6 CO2 +6 H2O+ 36 ATP (Adénosine TriPhostphate)
Réaction bilan de la fermentation alcoolique:
C6H12O6(glucose)+2 ADP + 2 Pi → 2 C2H5OH (éthanol)+ 2 CO2 +2 ATP (AdénosineTriPhospahte)
L’ATP(AdénosineTriPhosphate) produite au cours de ces métabolismes est une molécule très riche en énergie et c’est cette molécule qui sera utilisée par la cellule pour assurer ses besoins énergétiques. La molécule d’ATP (Adénosine TriPhosphate) est la source d’énergie principale présente chez tous les organismes vivants.
Vous remarquerez que dans les deux cas (respiration et fermentation alcoolique) il y a formation de gaz carbonique (CO2) ! Attention donc, ça n’est pas parce qu’il se forme des bulles qu’il s’agît forcément de fermentation !
Lorsque nous respirons, nous absorbons de l'oxygène et nous rejetons du gaz carbonique. Au niveau cellulaire c'est pareil !
Le comportement de la levure va dépendre du ratio glucose/oxygène dans le milieu et elle va adopter naturellement la voie qui assurera, à moindre effort, ses besoins énergétiques. La respiration cellulaire est la voie qui apporte le plus d’énergie (36 ATP) à partir d’une seule molécule de glucose. Cette voie sera toujours privilégiée lorsque le milieu s’appauvrit en glucose.
Pasteur a découvert un effet qui porte son nom " Effet Pasteur " : en présence d’oxygène les micro-organismes préfèrent la voie de la respiration.
Toutefois plus tard, des chercheurs ont découvert que la levure Saccharomyce cerevisiae bien connue des fermenteurs échappe à cet effet Pasteur et on parle alors d’effet Crabtree. En effet cette levure, même en présence d’oxygène, va recourir à la fermentation.
Je rappelle que Saccharomyce cecerevisiae est une levure osmotolérante, c’est à dire qu’elle tolère peu le glucose. Le glucose inhibe la synthèse des enzymes (cytochrome) nécessaires à la respiration cellulaire ce qui explique l’orientation de cette levure vers le métabolisme fermentaire.
Je reviendrai sur cette notion d’effet Crabtree et ses conséquences dans les processus de fermentation, notamment pour la production de boissons pétillantes fermentées, dans un autre article.
J’ai expliqué dans cet article ICI que je vous invite vivement à lire la notion de respiration cellulaire VS fermentation. Dans cet article j’explique la notion de milieu aérobique/anaérobique qui est différente de la définition biologique de levures et bactéries aérobiques/anaérobiques. Il est plus qu’important de bien saisir cette différence car cela permet de comprendre beaucoup de choses.
III-1-1 La fermentation (respiration anaérobie des levures) :
Selon leur nature les levures peuvent consommer du glucose, du fructose, du mannose, etc etc. Elle sont aussi leur préférence, par exemple Saccharomyce cerevisiae est glucophile c’est-à-dire qu’elle a une nette préférence pour le glucose par rapport au fructose. Lorsque le glucose est entièrement consommé, saccharomyce cerevisiae se trouve contraint de consommer le fructose. Les conditions idéales ne sont plus réunies et la fermentation pourrait s’arrêter ou prendre une autre tournure. Cette problématique est bien connue du milieu de la vinification.
Pour simplifier je n’utiliserai que le glucose dans mes explications car c’est le sucre le plus facilement assimilable par la majorité des levures.
Lorsque le milieu est riche en glucose, les levures vont commencer à métaboliser le glucose pour former le pyruvate. Une fois le pyruvate formé si l’oxygène est peu abondant voire absent du milieu, les levures vont procéder à la fermentation alcoolique. Comme noté plus haut, Saccharomyce cerevisae va adopter la voie fermentaire même sile milieu est abondant en oxygène.
Je tiens à préciser que, contrairement à ce qu’il est dit ici et là, la fermentation alcoolique peut avoir lieu aussi bien en aérobie qu’en anaérobie.
C’est juste les résultats obtenus en un temps bien déterminé qui sont différents. En anaérobie la fermentation alcoolique se fait plus rapidement, les levures se multiplient moins vite. Tandis qu’en aérobie les levures se multiplient beaucoup plus rapidement et la fermentation alcoolique se fait plus lentement. Cela s’explique par le fait que la respiration apporte beaucoup plus d’énergie que la fermentation. Cette abondante énergie fournit par la respiration est utilisée par les levures pour se multiplier rapidement. C’est la raison pour laquelle la production industrielle de biomasse de levures utilise une fermentation aérobique.
III-1-2 La respiration cellulaire des levures
La respiration cellulaire est la voie qui produit une bonne dose de molécules énergétiques(36 ATP), à partir d’une seule molécule de glucose, contre seulement 2ATP lors d’une fermentation. Cette voie est donc naturellement privilégiée par les levures afin d’assurer leur survie lorsque le milieu est pauvre en glucose.
III-2 Ce qu'il se déroule dans nos bocaux
Nous allons maintenant voir ensemble la formation éventuelle de voile de levures à la surface de quelques produits fermentés bien connus. Je vais vous expliquer pourquoi ce voile se forme et vous verrez qu'avoir connaissance de cette notion de respiration cellulaire des levures dont j'ai expliquée plus haut en est la clé.
III-2-1 Lacto-fermentation de légumes :
IL n’y a pas que des bactéries lactiques sur les légumes. Il y a aussi des levures, des spores de moisissures qui sont invisibles, et bien d’autres micro-organismes. Tout comme les levures, les bactéries lactiques sont besoin de glucose pour pouvoir se développer et se multiplier. On va donc avoir dans nos bocaux différents microbes consommateurs de glucose.
Lorsqu’on fait une lacto-fermentation, ce sont les conditions favorables au développement des bactéries lactiques qui sont réunies.
Ces conditions n’étant pas favorables aux levures, à un moment donné elles vont s’affaiblir voire mourir.
Lorsque le glucose vient à manquer, car consommé par les bactéries lactiques, les plus costauds des levures vont naturellement basculer en mode respiratoire afin de pouvoir rester en vie car ce métabolisme permet de produire d’avantage de molécules ATP assurant leurs besoins énergétiques. Elles vont donc se mouvoir dans le milieu à la recherche d’oxygène indispensable à leur respiration cellulaire, c’est en surface qu’elle vont trouver leur bonheur.
Les 1ères arrivées vont commencer à former un bout de voile fin blanc et translucide. Ce voile va s’élargir au fur et à mesure que d’autres levures arrivent en surface. Comme elles ont besoin d’oxygène, elles vont se mettre les unes à côté des autres. Une fois toute la surface du bocal remplie par une couche de levures, si il y en a d’autres qui arrivent celles-ci ne pourront se poser qu’en dessous de la couche initiale. Ces dernières n’auront ni oxygène ni glucose à leur disposition, elles vont finir par mourir et retomber dans la préparation voire au fond du bocal.
La respiration ne permettant pas aux levures de se multiplier massivement, mais seulement assurer leurs besoins énergétiques, le voile ne pourra en aucun cas s’épaissir. Il restera fin plus ou moins translucide avec éventuellement quelques stries longitudinales (et non des plissures sinuées et serrées).
Les levures en surface, lors de leur respiration cellulaire, vont produire du gaz carbonique. Ces bulles de gaz vont soulever le voile et on verra cela ici et là. Si on perce la bulle celle-ci va éclater, le gaz va s’échapper et le voile va s’aplatir.
Je rappelle que la respiration cellulaire des levures tout comme la fermentation alcoolique produit du gaz carbonique. (Voir plus haut les réactions bilan de ces 2 métabolismes)
L'image ci-dessus montre bien la texture fine et translucide d'un biofilm de levures. Tellement translucide que l'on voit à travers la couleur des cerises ! On y voit des stries longitudinales et non des plissures sinuées et serrées comme le cas des moisissures.
III-2-2 Le vinaigre :
La 1ère étape de la fabrication de vinaigre est une fermentation alcoolique. Si le milieu est pauvre en glucose, les levures vont naturellement basculer en mode respiratoire et vont donc remonter à la surface là où il y a le plus d’oxygène.
Une formation de voile de levures en surface alors que la fermentation alcoolique n’a pas suffisamment aboutie est la preuve qu’il n’y a pas suffisamment de sucre pour les levures dans le milieu.
Cela peut s’expliquer par l’utilisation de fruits qui ne sont pas suffisamment mûrs (taux naturel de sucre faible). Mais aussi un ajout de sucre insuffisant dans le cas de la préparation de vinaigre de pelures de fruits, vinaigres de fleurs, vinaigres de légumes. Rappelez-vous, lorsque le milieu s'appauvrit en glucose les levures vont naturellement basculer en mode respiratoire afin d'assurer leur survie. Elles vont donc monter en surface afin de trouver l'oxygène indispensable à leur respiration cellulaire.
Cela peut aussi s’expliquer par l’inactivité/absence d’enzymes responsables de la décomposition du saccharose (en glucose et fructose) soit du fruit soit du sucre ajouté car les levures ne peuvent pas consommer directement le saccharose.
Lors de la 2ème étape, la fermentation acétique, si il reste des levures vivantes dans le milieu celles-ci vont aussi remonter en surface et vont s’amalgamer avec des bactéries acétiques pour former un amas gélatineux et souple appelé communément mère de vinaigre.
III-2-3 Les sirops crus (cheong/koso)
La seule fermentation qui puisse avoir lieu lors de la production de sirops crus (cheong/koso) est une fermentation alcoolique mais elle n'est pas systématique ! En effet pour qu'il y ait fermentation alcoolique il faut que les levures soient activées, c'est-à-dire que l'activité de l'eau (Aw) du milieu doit être supérieur à 0.6. Ce qui est le cas des sirops crus réalisés avec des fruits riches en eau. Pour en savoir plus je vous renvoie à mon article ICI sur l'activité de l'eau, ce paramètre qui conditionne le déclenchement des fermentations.
Une fois les levures activées, c’est à dire dès que l’eau disponible pour leur activité est suffisante, la seule voie empruntée par celles-ci est la fermentation alcoolique. En effet vu le taux de sucre pour la préparation d’un cheong (même poids de sucre que de végétal), il y aura toujours du glucose à disposition des levures. La voie respiratoire, qui je le rappelle est une voie de secours pour rester en vie, sera donc exclue lors de ce processus. Par conséquent une couche ou un biofilm qui se formerait en surface d’un cheong (avant ou après filtration) ne pourra être en aucun cas des levures.
Je précise également qu'il ne peut y avoir de lacto-fermentation lors de la production de cheong/koso car le taux de sucre élevé du milieu ne permet pas aux bactéries lactiques de disposer d'eau libre pour s'activer.
III-3 Propriétés physico-chimiques des levures
On va s’intéresser uniquement à 2 propriétés : l’aspect physique et la solubilité dans l’eau
III-3-1 Aspect physique des levures
Une large majorité des levures sauvages sont toujours de couleur blanche, on en a identifiées quelques unes sur des fruits tropicaux qui ont une couleur qui tire vers un jaune très pâle (lien d’un article sur le sujet dans les références).Elles ne sont pas texturées mais plutôt d’aspect lisse. Elles restent toujours liées entre elles en formant un voile fin translucide.
A travers la paroi d’un bocal ça laisse une trace de film blanc translucide également.
La couleur brunâtre de la levure de boulanger n'est pas celle des levures elles-mêmes mais de leur support de culture.
III-3-2 Solubilité des levures
Aussi bien les levures sauvages que les levures commercialisées sont solubles dans l’eau.
Un moyen de savoir si la couche qui se forme en surface d’un produit en cours de fermentation ou sur un produit fermenté est bien de la levure consiste donc à en prélever une partie et de la mettre dans de l’eau puis remuer. Si ce sont des levures alors elles vont se dissoudre.
Une pratique courante dans nos cuisines consiste à diluer dans de l'eau de la levure sèche de boulanger avant de l'ajouter aux autres ingrédients ! Si les levures étaient insolubles dans l'eau alors cette pratique n'aurait jamais pu se réaliser ...
Je vous encourage vivement à réaliser ce test de solubilité dans l'eau dès qu'il se forme une couche à la surface de votre préparation.
En illustration vous avez 3 vidéos réalisées par Valérie, Martine et Rémy. Après avoir partagé leur problématique sur le groupe de fermentation, je leur ai demandé de faire ce test afin de déterminer si ce sont des levures ou pas.
Les morceaux prélevés sont restés en suspension dans l’eau. Là il ne s’agît donc pas de levures. D’ailleurs si vous regardez bien la vidéo, les substances prélevées sont de formes granuleuses.
Voici une photo de ce qui s'est formé en surface d'un bocal de lacto-fermentation de tomates vertes de Martine.
Il s'agit de fines plaques blanches qui se répartissent de façon éparse ici et là sur la surface de la préparation.
Après avoir prélevé un peu de ces plaques blanchâtres puis mis dans de l'eau, Martine a remué l'ensemble à l'aide d'une petite cuillère tout en filmant.
La vidéo nous montre que les substances prélevées ne se dissolvent pas dans l'eau. Là non plus, il ne s'agît donc pas de levures.
Cette 3ème vidéo a été réalisée par Rémy avec ce qu'il a prélevé de la couche qui s'est formée au dessus de son vinaigre de figues. Une fois mélangées à de l'eau puis remuées, les particules sont restées en suspension : Ceci nous prouve à nouveau que la couche qui s'est formée en surface n'est pas de la levure kham !
IV- Les moisissures
IV-1 Métabolisme des moisissures
Les moisissures sont des champignons microscopiques filamenteux. Une grande majorité de moisissures sont aérobioses mais il en existe une minorité capable de se développer même si le taux d’oxygène dans leur environnement est faible voire nul.
Elles ont deux métabolismes de base : un métabolisme primaire et un métabolisme secondaire.
IV-1-1 Métabolisme primaire
Le développement s’effectue en 3 phases successives : la germination, la croissance et la sporulation.
Des spores de moisissures, bien qu’invisibles, se trouvent en abondance partout à l’extérieur dans la nature mais aussi à l’intérieur de nos habitations. Disséminées par l’air, les insectes, les oiseaux, ... ces spores vont se déposer un peu partout sur les végétaux, la terre, les murs, etc etc. C’est ainsi qu’elles vont aussi se retrouver sur les fruits et légumes cultivés avec amour dans notre jardin mais aussi sur des cultures intensives dans les champs ou sur des plantes sauvages dans la forêt.
Elles restent en dormance sur le substrat sur lequel elles sont déposées et dès que les conditions environnementales sont favorables elles vont germer. Cette germination va donner naissance à un 1er filament qui va s’allonger puis se ramifier. Chaque ramification est appelée hyphe. Le réseau d’enchevêtrement de ces nombreux filaments est appelé mycélium. Le mycélium est un appareil végétatif c’est à dire un ensemble d’organes qui vont participer à la vie de la moisissure. C’est par l’intermédiaire de ce réseau de mycélium que la moisissure va puiser sa nourriture dans le substrat sur lequel elle se trouve. En effet les moisissures n’ont pas seulement besoin d’oxygène mais comme tout vivant elles ont aussi besoin de se nourrir !
Le mycélium va excréter les enzymes digestives contenues dans leurs cellules. Ces enzymes vont alors décomposer les matières organiques du substrat pour en extraire le carbone et l’azote qui sont les nutriments indispensables à la croissance de la moisissure ainsi que les minéraux, etc etc. Ensuite ces nutriments sont absorbés par le mycélium. C’est ainsi que les moisissures se nourrissent.
Elles vont chercher continuellement de nouvelles ressources nutritives, lorsque les nutriments viennent à manquer à un endroit donné les hyphes vont se prolonger un peu plus profondément à chaque fois dans le substrat.
Les moisissures qui colonisent un substrat dégrade celui-ci en puisant leurs nutriments. La valeur nutritive d’un aliment colonisé par des moisissures se trouve ainsi fortement diminuée.
La reproduction des moisissures se fait uniquement en surface. De petites bulles appelées sporange dans lesquelles seront stockées les spores produites vont pousser à l’extrémité des hyphes aériennes. Les sporanges vont éclater libérant ainsi une grande quantité de spores qui vont être disséminées à leur tour. La boucle est bouclée !
IV-1-2 Métabolisme secondaire
Il s'agît de la production de différents métabolites comme des acides mais aussi des mycotoxines. Toutes les moisissures ne produisent pas de mycotoxines, mais une moisissure peut produire différentes sortes de mycotoxines.
Il est important de savoir que toute moisissure présente dans nos fermentations (et n’importe quel autre aliment non fermenté) dégrade la qualité nutritionnelle et peut produire également des mycotoxines.
Dans le cas où de la moisissure se trouve sur la paroi du bocal, même si elle n’est pas en contact directe avec la préparation, les spores qu’elle va produire vont tomber dans la préparation et le cycle de développement va commencer.
IV-2 Propriétés physico-chimiques des moisissures
IV-2-1 Aspect physique
Selon leur nature, les moisissures ont différents aspects. Elles peuvent avoir une texture duveteuse, poilue, granuleuse, cotonneuse, sinueuse, poudreuse, gélatineuse. Parfois elle est sous forme d’une fine plaque (cas des moisissures sur la lacto de tomates vertes de Martine). La texture peut également évoluer au fil du temps.
Il arrive que le réseau de mycélium se développe d’abord dans la partie aérienne en remplissant toute la surface avant de se diffuser à l’intérieur du substrat : c’est le cas qui nous induit en erreur ! Au départ le réseau de mycélium a un aspect qui ressemble à un biofilm plus ou moins translucide avec des veines qui se dessinent un peu partout. Mais cette texture ne perdure jamais, parfois les stries seront de plus en plus nombreuses et sinueuses pour au final se transformer en une couche plus ou moins épaisse avec des stries très serrées et très denses. Parfois les moisissures adoptent carrément une autre texture.
Au départ les moisissures sont blanches, c’est seulement après la sporulation qu’elle changera éventuellement de couleur. Si les spores produites sont blanches alors elle le restera sinon elle prendra la couleur de ses spores.
Il arrive que des moisissures se développent par dessus un biofilm de levures sauvages, ça c’est le jackpot !
Voici quelques photos de moisissures ayant des aspects physiques différents et qui ce sont développées sur des produits en cours de fermentation mais aussi sur des produits fermentés.
C'est ce qui s'est formé en surface du vinaigre de figues en cours de fermentation de Valérie et dont elle a prélevé pour faire le test de solubilité
Moisissure qui s'est formée sur mes achards lacto-fermentés de poivrons/pommes (contenu du bocal à moitié consommé)
Moisissures qui se sont formées en surface des lacto de tomates vertes de Martine et qui se sont aussi déposées sur le bocal qui a servi de poids.
IV-2-2 Solubilité
Les moisissures sont insolubles dans l’eau.
Si c'était le cas, on se débarrasserait très facilement de toutes ces moisissures dans certains endroits de nos habitations par exemple. Même le vinaigre ne vient pas à bout de certaines moisissures !
Les vidéos réalisées par Martine, Rémy et Valérie montrent bien des substances qui restent en suspension dans l’eau.
IV-2-3 Température et pH
Les moisissures résistent à des valeurs de pH allant de 3 à 9 mais leur développement est optimal pour des valeurs de pH comprises entre 4 et 8.
Les mycotoxines qu’elles produisent sont thermostables et ni la cuisson ni la stérilisation ne permettent de les détruire. Ils sont aussi très stables à pH très acide, par exemple ils résistent bien au vinaigre d’alcool alors que les moisissures sont détruites.
De manière générale les mycotoxines sont bien plus résistants que les moisissures qui les ont produits.
IV-2-4 Métabolites
Les moisissures produisent des composés organiques volatils (COV) à différents stades de leur développement. L’odeur puante et repoussante ne se forme qu’à un stade très avancé de leur développement, alors ça n’est pas parce que ça ne sent pas mauvais même si il y a des moisissures que les risques sanitaires sont écartés !
Des moisissures peuvent aussi se développer à la surface d’une préparation mise dans l’huile après lacto-fermentation et certains mycotoxines qu’elles produisent se développent sans difficulté dans l’huile de la préparation colonisée.
Même si on enlève les moisissures qui se sont développées à la surface de nos préparations, les mycotoxines qu'elles ont produites se trouvant au coeur de la préparation et qui sont invisibles sont toujours présentes.
Les effets sur notre santé des mycotoxines peuvent aller d’un simple mal de tête à un cancer (Cf article de l'ANSES dans les références). Si il est improbable que l’on puisse consommer en une seule fois la dose létale, la prise régulière et/ou répétée même à petite dose d’aliments contaminés par des mycotoxines a des effets néfastes sur notre santé.
De nombreuses mycotoxines, dont la patuline, ne sont décelables ni par le goût ni par l'odeur . La patuline est une mycotoxine produite par certaines moisissures que l'on retrouve notamment sur les fruits, surtout la pomme et ses produits dérivés.
V- Levures VS Moisissures
Nous avons vu les métabolismes et quelques propriétés physico-chimiques des levures et des moisissures.
En résumé voici ce qu'il faudra retenir :
- Translucide
- Parfois de fines stries longitudinales
- Formation de stries sinueuses et serrées
- Ne s'épaissit pas au fil du temps
- La couche s'épaissit au fil du temps
Pour illustrer tout cela : la 1ère photo représente des levures, la 2ème représente des moisissures au tout début de leur phase de développement. C'est cette forme de début de formation de moisissures qui induit de nombreuses personnes en erreur en l'identifiant étant des levures kham (levures sauvages).
Mais en regardant bien on voit nettement les différences d'aspects : la couche sur la 2ème photo présente de nombreuses stries sinuées plus ou moins serrées alors que celle de la 1ère photo ne porte que quelques stries longitudinales.
Voile de levures qui s'est formé sur un vinaigre en cours de fermentation. Les stries sont longitudinales et sont peu nombreuses.
Une forme de moisissure au début de sa phase de développement. Les stries sinueuses et serrées se forment déjà de façon très nette.
Cas de Valérie - au cours de la mise en fermentation d'un vinaigre de figues
Maintenant voyons ensemble 3 cas d'évolution de la texture de moisissures.
Voici en photos les différentes étapes de l'évolution de la couche qui s'est formée en surface du vinaigre en cours de fermentation.
D'une couche fine au départ (1ère photo), au bout de quelque temps Valérie s'est retrouvée avec une masse rigide épaisse avec des granulés blancs. Le test de solubilité dans l'eau s'est avéré négatif (voir vidéo plus haut) : il s'agît bien de moisissures.
Les 4 premières photos représentent l'évolution de la couche de moisissures depuis le début de son développement jusqu'à ce que Valérie retire cette couche pour faire son test de solubilité dans l'eau.
Valérie a retiré cette couche épaisse mais quelques jours après, des moisissures blanches sont à nouveau réapparues à la surface de son vinaigre de figues (dernière photo).
Le cas des moisissures sur le vinaigre de figues de Valérie est un exemple de modification de textures de certaines moisissures au fil du temps.
Cette variation de texture peut se faire sur un temps plus ou moins long, selon les cas.
Cas d'Estelle - au cours de la mise en fermentation d'un vinaigre de carotte
Voici les changements de textures s'effectuant sur 3 jours après la mise en fermentation. Il s'agît là aussi de moisissures. L'évolution de la texture des moisissures a été beaucoup plus rapide que dans le cas de Valérie ci-dessus.
Les 1ères formations de moisissures (1ère photo) vont faire penser à deux nombreuses personnes qu'il s'agît de levures kham. Mais hélas ça n'est pas du tout le cas, preuve en est ce qui s'est produit par la suite !
On voit bien sur la première photo qu'il ne s'agît pas d'un voile ayant un aspect lisse et homogène mais plutôt un amas de substances blanches sous forme de fines plaques ici et là.
Sur la photo du milieu, on constate que les fines plaques blanches se sont transformées en de stries sinueuses et serrées.
Des stries sinueuses et serrées qui se sont densifiées sur la dernière photo.
L'épaisseur de la couche a aussi bien évolué , elle est devenue de plus en plus épaisse.
Cas d'Estelle - au cours de la mise en fermentation de vinaigre de betteraves
Voici un autre cas d'évolution rapide de la texture de moisissures au cours d'une même fermentation.
La première photo montre une formation de nombreuses stries, la texture de cette couche n'est pas homogène puisque en bordure elle commence déjà à avoir une épaisseur plus importante. C'est cette 1ère phase qui prête à confusion faisant croire à de nombreuses personnes qu'il s'agît de levures.
Ces stries sont devenues bien sinueuses et serrées sur la deuxième photo. La couche s'est bien épaissie et est devenue bien dense.
Ici aussi il s'agît de moisissures !
VI- Conclusion
Nous avons appris ensemble que les métabolismes de base des levures et moisissures justifient leur éventuelle formation au cours d'une fermentation ou sur des produits finis fermentés.
Certaines de leurs propriétés physico-chimiques, notamment leur aspect, nous permettent de les différencier visuellement.
Une expérience ultra simple et fiable, le test de la solubilité dans l'eau, nous permet de savoir définitivement si il s'agît de levures ou de moisissures.
Je comprends parfaitement qu'il soit dérangeant de jeter de la nourriture, encore plus si sa production a pris beaucoup de temps. Mais comprenez bien que les effets sur notre santé de la toxicité des mycotoxines produites par certaines moisissures sont beaucoup plus graves !
Certaines moisissures, lors de leur toute première étape de développement, s'apparentent à des levures et c'est ce qui fait penser à de nombreuses personnes qu'il s'agît de levures kham.
Mais grâce à toutes ces informations que je vous ai partagées et avec un peu d'esprit analytique on peut différencier efficacement les levures des moisissures sans tomber systématiquement dans ce que j'appelle, non sans humour, la légende de la levure kham ...
Nous allons donc finir en images avec des illustrations de levures VS 1ère phase de développement de certaines moisissures.
Levures
Moisissures lors de leur première phase de développement
- Evaluation des risques liés à la présence de mycotoxines dans les chaînes alimentaires humaines et animales
https://www.anses.fr/fr/system/files/RCCP-Ra-Mycotoxines.pdf-
- Apports d’énergie aux cellules de levures (TP académie de Bordeaux)
https://blogpeda.ac-bordeaux.fr/svtpapeclement/files/2022/10/Act9_EnergieCellulaire_ECE_correction.pdf-
- Polarité cellulaire des levures
https://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/10401/MS_2019_05_452.html?sequence=19&isAllowed=y